Fêtes Saisonnières – Histoire et Folklore

Avant-propos : Datation des « fêtes celtiques »

En 1582, les pays catholiques adoptèrent les modifications du pape Grégoire XIII, dans le but de corriger la dérive séculaire du calendrier julien, alors en usage. Le lendemain du jeudi 4 octobre 1582 fut ainsi le vendredi 15 octobre 1582, ces 10 jours permettant de rattraper le retard pris par le calendrier julien depuis le concile de Nicée, et de retrouver la concordance entre l’équinoxe de printemps et le 21 mars calendaire.

La Grande-Bretagne (entre autres pays) n’étant pas catholique, elle résista au changement et conserva le calendrier julien jusqu’en 1751, presque 200 ans plus tard. Il fallut alors appliquer un décalage de 12 jours (10 jours +1 pour 1600 +1 pour 1700) : le mercredi 2 septembre 1752 fut donc suivi par le jeudi 14 septembre. Mais jusqu’à la fin du 19e siècle, les régions rurales d’Écosse et d’Irlande (à forte survivance des traditions gaéliques, à cause du mode de vie pastoral) continuèrent à se baser sur le calendrier julien. C’est seulement à partir de 1872 (enseignement primaire obligatoire) que le calendrier grégorien gagna les campagnes et qu’on déplaça les fêtes traditionnelles, comme le Jour de l’An et les Quarter Days (voir ci-dessous), au 1er du mois.

Par ailleurs, la nature fixe des « fêtes celtiques » est bien loin d’être prouvée. Alexander Carmichael(4) note, au sujet de Bealtaine, que même si la date était généralement fixée au 1er mai, les célébrations pour marquer l’arrivée de l’été pouvaient avoir lien avant ou après cette date, selon les conditions météorologiques (ce qui est tout à fait logique, puisque ces fêtes étaient directement liées aux saisons, qui n’arrivent pas toujours à la date officielle).

Les Quarter Days (QD)irishseasons

Avant la christianisation de l’Irlande au 5e siècle, l’année était divisée en 4 quarts (Quarters), chacun représentant une saison, le premier jour de chaque saison étant appelé Quarter Day :

Samhain, 1 nov., début de l’hiver (en Gaeilge, Oíche Shamhna/Lá Samhna)
Imbolg (ou Oímelc), 1 fév., début du printemps (en Gaeilge, Lá Fhéile Bríde)
Bealtaine (ou Cétemain), 1 mai, début de l’été (en Gaeilge, Lá Bealtaine)
Lúnasa (ou Brón Trogain), 1 août, début de l’automne (en Gaeilge, Lá Lúnasa)
(Le préfixe indique le jour, puisque certains noms sont aussi utilisés pour désigner les mois) (2).

On peut voir cette division de l’année en 4 quarts dans les récits mythologiques irlandais, par exemple dans La Courtise d’Emer(20) : “Samain, quand l’été va se reposer… Imbolc, quand on trait les brebis au début du printemps… Beltine au début de l’été et… Brón Trogain, l’automne de la terre attristée.”

Les QD gaéliques sont marqués par un mélange de traditions locales spécifiques, mais qui ont un certain nombre de points communs :
Chacun est le 1er jour de la saison et amène un changement dans les conditions climatiques.
Chacun marque un changement important dans le travail des fermiers et des pêcheurs.
Chacun inclut des cérémonies dans le but d’assurer protection et bénédiction pour la saison.
Chacun est marqué par des foires, des assemblées, le paiement des loyers et taxes et l’échéance des contrats.
La divination y est pratiquée.
Des feux de joie sont allumés (sauf 1er février).
Des banquets communautaires ont lieu.
Des groupes de jeunes gens et jeunes filles prennent part à des processions et à des mascarades.
Les forces et les êtres surnaturels sont actifs.

Les sources irlandaises suggèrent que l’année était aussi divisée en deux moitiés : la moitié sombre, de novembre à avril, pendant laquelle il y avait peu de travaux agricoles, ce qui permettait aux jeunes d’être éduqués, et la moitié chaude, de mai à octobre, où davantage de main d’oeuvre était nécessaire pour garder les troupeaux, traire et moissonner. (23)

Observés depuis au moins le Moyen-Age, les QD étaient des dates où on embauchait les domestiques, où les trimestres scolaires débutaient, et où les loyers et taxes étaient payés. La domination anglaise (1494, l’Angleterre soumet l’Irlande à une totale obéissance) va imposer de nouveaux QD légaux (et chrétiens), reléguant Samhain, Lá Imbolg, Bealtaine et Lúnasa au rang de Cross-quarter Days (puisqu’ils se situent à mi-chemin des nouveaux QD) :
Lady Day, 25 mars, fête de l’Annonciation,
Midsummer Day, 24 juin, fête de St Jean-Baptiste,
Michaelmas, 29 sept., fête de St Michel et des archanges,
Noël, 25 déc., fête de la naissance de Jésus.

Les fêtes intermédiaires ci-dessous, qui correspondent grosso modo aux nouveaux QD anglais, sont probablement d’origine nordique ou anglo-saxonne. Elles ne sont pas mentionnées dans les mythes irlandais, comme c’est le cas pour les QD gaéliques, et il semble que les coutumes associées à ces fêtes intermédiaires aient été copiées sur les coutumes associées aux QD gaéliques. F. Marian McNeill(18) suggère que ce transfert délibéré était destiné à diminuer l’aspect païen de ces pratiques.

Yule/Hogmanay, qui couvre la période de Noël et du solstice d’hiver (Hogmanay est fêté en Écosse le 31 déc.)
Sheelah’s Day, 18 mars, en Irlande et Là na Caillich, 25 mars, Lady Day, qui coïncide avec la date « officielle » de l’équinoxe de printemps.
Midsummer, 25 juin, qui coïncide avec le solstice d’été et qui célèbre St Jean-Baptiste, Manannán ou Áine, selon les endroits.
Là Fhèill Mìcheil, 29 septembre, Michaelmas, qui coïncide grossièrement à l’équinoxe d’automne.

Samhain

On lit un peu partout que Samhain est le “nouvel an celtique”, mais en fait cette affirmation ne remonte qu’au 19e siècle et n’a jamais été écrite dans les sources littéraires. C’est John Rhŷs (24) qui a affirmé que Samhain était le premier jour de l’année celtique car, selon lui :
1- D’après César, les Celtes considéraient que les jours commençaient la nuit, donc il semblait logique que leurs saisons donnent l’avantage à l’hiver sur l’été.
2- Selon Le Glossaire de Cormac (21), le dernier mois de l’automne était le dernier mois de l’année.
3- Des pratiques divinatoires avaient lieu à Samhain, car il est logique que les gens veuillent savoir ce que leur réserve l’année à venir
4- Dans les coutumes irlandaises, un feu est allumé à Tlachtga à Samhainn, à partir duquel tous les foyers d’Irlande sont rallumés – un nouveau feu pour la nouvelle année.

Sauf que… César a écrit “Les Gaulois (…) comptent les périodes de temps non par le nombre de jours mais par le nombre de nuits”. Il n’y a aucune mention explicite du fait que la nouvelle année soit située au début de l’hiver et, de toutes façons, César n’est pas exactement une source fiable. Cormac (1) dit “Fogamur est le nom du dernier mois d’automne”, point. Les autres fêtes sont aussi l’occasion de pratiques divinatoires, bien qu’il y ait une emphase à Samhain, effectivement. L’histoire des feux de Tlachtga a été racontée par Keating (13) au 17e siècle, et sa fiabilité est douteuse car c’est la seule source qui en parle. Dans la littérature mythologique, il n’y a aucun texte qui affirme que Samhain était le début de l’année. Le seul indice est que c’est la fête dont on parle le plus.

Un récit du Cycle d’Ulster (qui contient les plus anciens récits de la littérature irlandaise), La Courtise d’Emer(20) , nomme clairement les fêtes et les saisons  : “Samain, quand l’été va se reposer, (…) Imbolc, quand on trait les brebis au début du printemps; (…) Beltine au début de l’été et (…) Brón Trogain, l’automne de la terre attristée.” Le fait que Samhain soit mentionné en premier peut laisser supposer qu’il s’agit du point de départ de l’année. Toutefois, plus loin dans le récit, on trouve : “Car deux divisions étaient anciennement faites dans l’année, l’été à partir de Beltaine, et l’hiver de Samuin à Beltaine”. Si l’on prend en compte le fait que les Tuatha Dé Danann, d’après les textes, sont arrivés en Irlande un ‘Lundi au début du mois de mai’, on peut aussi bien assumer que Bealtaine était considéré comme le début de l’année. Il n’y a pas donc aucune certitude quant au nouvel an celtique.

Samhain, donc, marque la fin de l’été et la transition vers l’hiver, et tout ce que cela peut représenter pour une société pastorale. D’après le nombre de textes qui font mention de cette fête, on peut déduire son importance et sa popularité dans le monde gaélique.

Il y a un élément surnaturel dans tous les Quarter Days, puisque la croyance populaire veut que l’Autre Monde soit perturbé à ces périodes de transition entre les saisons, et que la veille d’un QD soit un moment liminal où les portes entre ce monde et l’Autre Monde sont ouvertes, et où les habitants des deux mondes peuvent interagir. À Samhain, cependant, cette perturbation est chaotique. La confusion règne et les habitants de l’Autre Monde errent librement dans le monde physique. Le danger que représentent ces visiteurs surnaturels est omniprésent pour quiconque s’aventurerait dehors la veille de Samhain. En Irlande, on considère que porter un couteau à manche noir ou une épingle d’acier, plantée dans la manche ou dans le col, est une protection indispensable si on doit absolument sortir. Rester loin des cimetières est indispensable, à moins de vouloir rencontrer les morts, et il est aussi nécessaire que le voyageur ne se retourne pas s’il entend des pas derrière lui, car ce sont les morts qui le suivent. Si rien ne fonctionne, il reste l’option de se déguiser : porter un masque, noircir son visage ou prendre une tout autre identité empêche les esprits de savoir qui vous êtes.

Les défunts se promènent donc dans notre monde la veille de Samhain, et ils rendent visite à leurs familles. Il est donc habituel de laisser nourriture et boisson pour eux lorsqu’on va se coucher, et idéalement, aucune porte de la maison ne doit être verrouillée, afin qu’ils puissent entrer à leur guise(18). Toute nourriture ou boisson laissée pour eux sera considérée comme impropre à la consommation humaine ou animale, car sa ‘substance’ ou ‘essence spirituelle’ (toradh) aura été consommée, “ne laissant derrière que les éléments grossiers.” (9)

Au moment de Samhain, les moissons sont terminées, les animaux ont été ramenés des pâtures d’été, et les gens sont revenus à leurs fermes. Les célébrations communautaires se focalisent sur les feux de joie, qui sont allumés au crépuscule (alors qu’à Bealtaine, les feux sont allumés à l’aube). On y allume des torches que l’on promène le long des limites des fermes et des champs, afin d’éloigner les influences néfastes pour la saison à venir. De la même manière, on creuse des navets, dans lesquels on sculpte des visages effrayants et où on place des bougies, avant de les déposer aux fenêtres, afin qu’ils fassent fuir les mauvais esprits.

Lorsque les feux se sont éteints, on recueille les cendres, que l’on répand sur les terres de la ferme pour assurer leur fertilité, puis on retourne chez soi pour les festivités(11). Un repas riche (les récoltes ont été faites) est suivi de jeux et de pratiques divinatoires. Les thèmes associés à l’hiver à venir sont la mort, qui n’est jamais loin à cette époque de l’année, mais aussi les mariages, les mois d’hiver étant considérés comme la période la plus propice : un enfant conçu en hiver a de meilleures chances de survivre puisqu’il naîtra à la belle saison, où la nourriture sera abondante. (2)

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Imbolg/Lá Fhéill Bríghde

Lá Fhéill Bríghde marque le début du printemps et de la saison agricole. C’est le moment où les premiers agneaux naissent et, par conséquent, le retour de l’abondance du lait(23). En Irlande, Lá Fhéill Bríghde est venu remplacer la fête pré-chrétienne d’Imbolg ou Oímelc. Le Glossaire de Cormac (21) indique que le mot “Oímelc” se rapportait au lait et à la traite. Le folklore associé à la fête est principalement lié aux vaches et au lait de vache.

Il n’est pas sûr que Bríde ait toujours été associée à ce Quarter Day, mais le lien entre la ‘traite’ d’Oímelc et le folklore associant Bríde aux vaches et au lait laisse penser qu’il y a une continuité entre la fête pré-chrétienne et la fête chrétienne. Le retour du lait et le début de l’agnelage symbolisaient le retour de l’abondance générale(23). Le lait et ses produits dérivés étaient par conséquent au centre de la célébration. Toutefois, d’autres coutumes étaient observées : la divination (surtout météorologique), la fabrication d’une poupée de paille représentant Bríde, la préparation, quelque part dans la maison, d’un lit qui lui était destiné, et une invitation ritualisée afin qu’elle vienne bénir la maison.

La veille, les filles fabriquaient une brídeóg (‘petite Bríde ’) avec de la paille, et l’habillaient de verdure, de coquillages colorés, de rubans, de fleurs (perce-neiges, primevères et pissenlits étaient particulièrement adaptés). La brídeóg était ensuite amenée en procession de maison en maison par les filles non mariées. Chaque personne visitée devait donner un présent : quelque chose pour décorer la poupée ou de la nourriture pour le festin. Les femmes plus âgées, quant à elles, fabriquaient le leaba Bhríde (‘lit de Bríde’), en forme de berceau oblong dans lequel elles plaçaient une autre poupée de paille décorée. Puis une femme amenait la poupée dehors “et debout sur le seuil, avec les mains sur les chambranles, disait “Le lit de Bríde est prêt.” Derrière elle, une autre femme répondait “Que Bríde vienne, Bríde est la bienvenue.” La femme à la porte s’adressait à nouveau à Bríde “Bríde ! Bríde ! Viens, ton lit est prêt. Préserve la maison pour la Trinité.” Les femmes plaçaient alors l’icône de Bríde, avec beaucoup de cérémonie, dans le lit qu’elles avaient soigneusement préparé. Elles plaçaient une petite baguette blanche (l’écorce ayant été ôtée) près de la figurine (4). La baguette était généralement faite en bouleau, et représentait le bâton blanc avec lequel Bríde redonne vie à la végétation. Les cendres du foyer étaient ensuite aplanies pour la nuit. Le lendemain matin, tout le monde se rassemblait autour de l’âtre pour chercher des signes du passage de Bríde, car son empreinte de pas était un très bon présage.

D’autres objets sont aussi laissés à l’extérieur pour que Bríde les bénisse : des rubans, des mouchoirs, des vêtements ou une pièce d’étoffe réservée pour l’occasion, le brat Bríde. Ces objets étaient placés dehors la veille de la fête, généralement sur un buisson, et on les récupérait le soir, après qu’ils aient été touchés et bénis par Bríde. Le brat Bríde était alors découpé en morceaux, qui étaient distribués aux femmes de la maison. Il était considéré comme capable de soigner, de protéger du mauvais oeil, d’aider à la conception ou à la mise au monde des enfants, et d’assurer une bonne protection de lait chez les vaches(5).

Une autre tradition, encore largement suivie de nos jours, est la fabrication de croix de paille ou de joncs, appelées cros Bríde. Généralement faites la veille de la fête par les membres de la famille, elles ont des formes variées selon les régions : à 4 branches, à 3 branches, en forme de losange, d’arc de Ste Brigid (un cercle contenant une croix), etc (22). On les place au-dessus des portes ou sur le manteau des cheminées, pour protéger la maison de la foudre et des mauvais esprits, et on brûle ou enterre la croix de l’année précédente(8).

Comme on peut le voir, les traditions autour de Lá Fhéill Bríghde  étaient principalement menées par les femmes (à l’opposé de Lúnasa, qui est une fête plus ‘masculine’). C’est assez logique puisque le lait était au centre des festivités, et que sa production (l’allaitement) et sa transformation (la traite et la fabrication du beurre et des fromages) étaient des tâches réservées aux femmes.

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Bealtaine

Bealtaine marque le début de la saison estivale, le moment où vaches et moutons vont retourner paître l’herbe nouvelle sur les collines(6). En plus de la transhumance à l’estive, la journée était marquée par diverses festivités, comme la grande procession, l’allumage des feux de joie (utilisés pour purifier et protéger bêtes et humains), la décoration de la maison et du  ‘May bush’, la préparation de bons repas et un certain nombre de superstitions et cérémonies.

Le Glossaire de Cormac(21), vers l’an 900, est la première source qui évoque la fête : “Bealtaine, ‘May day’, bil-tene, feu de la chance, deux feux que les Druides utilisaient pour de grandes incantations, et ils amenaient le bétail, pour le protéger des maladies, tous les ans à ces feux. Ils conduisaient le bétail entre eux”. Le texte donne, comme signification du nom,“le feu de Beal”, le liant au dieu Baal (dont le nom est familier puisque mentionné dans la Bible). Vers la fin du 19e siècle, cependant, Stokes et Macbain(15) ont suggéré une explication plus plausible : Bealtaine est composé des mots bel, “brillant”, et teine, “feu”.

La plupart des rites concernait le renforcement et la redéfinition des limites physiques de la maison et des terres (portes, fenêtres et limites des champs). Ces limites, étant des espaces qui n’appartiennent ni à un lieu ni à l’autre, étaient particulièrement menacées par les forces surnaturelles qui erraient la veille de Bealtaine. Si elles n’étaient pas suffisamment protégées, sorcières et mauvais esprits pouvaient les franchir et voler la prospérité et les biens de la maisonnée. Il était donc usuel de laisser un peu de lait et de beurre sur le seuil, ou entre les racines d’une aubépine ou d’un prunellier, pour nourrir symboliquement le peuple féérique dans l’espoir de le tenir éloigné(5). Maisons et étables étaient décorées de verdure et de fleurs (primevères, coucous, boutons d’or et renoncules fausse-ficaire, fleurs de mai, fleurs d’ajonc et pâquerettes), et on croyait qu’éparpiller des primevères sur le seuil protégeait des sorcières et les empêchait de voler le lait et le beurre. Des bouquets de primevères, de renoncule fausse-ficaire ou d’ajonc étaient attachés aux queues des vaches dans le même but, et accrochés aux portes des étables. (26, 27)

Allumer les feux de joie avait une signification importante. Les foyers étaient tous éteints et, à la place des flammes protectrices, on plaçait dans l’âtre des fleurs, des branches et autres verdures. Faire passer le bétail entre les feux de Bealtaine, ou sur les braises mourantes, était une pratique courante. Dans Irish Folkways, de Evans(8), on trouve une description des feux de Midsummer qui ressemble étrangement aux autres descriptions des feux de Bealtaine : “la plus vieille femme du village faisait trois fois le tour du feu dans le sens du soleil pour garantir une année sans maladie, et lorsque les flammes s’éteignaient, le bétail était conduit à travers les braises et leurs dos étaient roussis avec une branche enflammée de noisetier (…). Par tradition tout le monde ramenait à la maison un bâton enflammé, et celui qui rentrait chez lui en premier ramenait avec lui la chance de l’année. Une braise incandescente était portée trois fois autour de la résidence, et d’autres étaient jetées dans les cultures en train de pousser.

Wilde(26), quant à lui, donne une des meilleures descriptions des festivités : “la veille de Mai (…) on joue des saynètes et divers jeux ruraux, comme “dans dans l’anneau,” et “enfiler l’aiguille de ma grand-mère”, dans lesquels les garçons et les filles joignent leurs mains et dansent en une sorte de sarabande serpentine le long des rues, parfois sur une distance d’un mile – les hommes portant généralement des rameaux verts, ou des branchettes de prunellier et d’aubépine, qui sont alors en fleurs, et les filles décorées de petits bouquets de fleurs, de couronnes de pâquerettes, et de guirlandes de fleurs de mai et de boutons d’or.

Tandis que la soirée avance, et que l’assemblée se divise en petits groupes, les amoureux cherchant l’obscurité des bois, et les vieilles se retirant auprès de l’âtre, on peut voir quelques promeneurs solitaires qui marchent dans la pénombre, faisant la cour à la Lune près de l’antique rath, ou errant dans la vallée peuplée de fées, ou sur la lande morne, dans l’espoir d’entendre les flûtes mystiques des Sidheog, qui, cette nuit plus que toute autre, sont en alerte, et offrent leurs mélodies aux mortels. Une grande agilité et une grande grâce sont transmises, croit-on, à ceux qui ont la chance de tomber sur la musique des flûtes féériques; si grandes qu’il y a un dicton qui s’y rapporte, dans le Connaught, lorsqu’on voit un bon danseur, ‘Ma foi, toi, tu as entendu la flûte la veille de Mai.’”

Avec l’augmentation de l’urbanisation et les ajouts d’influence anglaise comme les Reines de Mai et le Mât de Mai, les éléments traditionnels axés sur la protection furent mis de côté. Mais dans les zones rurales, on a longtemps continué à sauter au-dessus des feux, ce qui était supposé rendre la personne invulnérable, y compris les femmes qui traversaient les flammes pour s’assurer un accouchement sans danger, ou pour trouver un bon époux. On faisait aussi bouillir de l’eau sur le feu, avec laquelle on éclaboussait ce qui devait être protégé. Enfin, des tisons étaient ramenés à la maison, afin de rallumer le feu dans le foyer. Une fois que les flammes s’étaient éteintes, les gens se barbouillaient avec les cendres, et celles qui restaient étaient utilisées sur le bétail, les champs et les maisons, pour la protection et la prospérité(26).

Le ‘May bush’ (buisson de mai) était fait de branches de sorbier, d’aubépine et d’érable sycomore, que l’on décorait de rubans colorés, de bougies et de bouts de tissu, avant de l’allumer la veille de Bealtaine et de les faire brûler le lendemain soir (dans certains endroits, on le conservait tout le mois). (5)

Une autre tradition ancrée dans de nombreuses régions d’Irlande voulait que rien ne soit jeté ou sorti de la maison le jour de Bealtaine. Il ne fallait pas jeter les cendres, ni prêter quoi que ce soit à quiconque car on pensait que ces objets pouvaient être utilisés pour causer du tort à leur propriétaire. Il était donc bien vu de rendre tout objet emprunté avant Bealtaine. C’était un mauvais présage si quelqu’un tentait de prendre du feu (ou du sel, ou de l’eau, ou de la présure pour faire le beurre) hors de la maison, car quiconque faisait ça emmenait avec lui la chance, et avait du pouvoir sur la maisonnée (5, 9, 23, 26, 27).

La rosée collectée avant l’aube de Bealtaine était considérée comme très puissante. Gerard Boate, en 1652, note que “Au mois de Mai, et au début de Juin, ils partaient (…) avant le lever du soleil, dans un pré vert, et là, soit ils faisaient tomber la rosée dans un plat avec leurs mains, soit ils jetaient des étoffes propres sur le sol, prenaient la rosée de l’herbe, et par la suite l’essoraient dans des plats (…). La rosée ainsi obtenue était versée dans une bouteille en verre, et placée à un endroit où elle aurait le soleil toute la journée, la laissant là tout l’été(5). Une fois mise en bouteille, on la laissait reposer quelques jours avant de la filtrer à maintes reprises. La rosée, gardée un an ou deux, avait des pouvoirs de guérison et de protection, ainsi que des vertus cosmétiques. De même, le premier beurre fait le matin de Bealtaine était supposé avoir de grandes vertus curatives, et on le mettait de côté pour en faire des onguents.

bealtaine

Lúnasa

Lúnasa marque le début de l’automne, et de la saison des récoltes. C’est une période de grande abondance (fruits, légumes et grains sont mûrs) et c’est la raison pour laquelle cette fête devint une célébration des premiers fruits. Historiquement, la fête était le moment d’une des assemblées principales d’Irlande, assemblées tenues par les rois et auxquelles les gens de la tribu (túath) assistaient. C’est là que se faisaient les affaires légales, que l’on achetait et que l’on vendait le bétail, la nourriture et les autres biens, et les festivités étaient ponctuées de jeux, de courses de chevaux, de festins, de boisson, de contes et de musique(14). Plus tard, les assemblées perdirent leurs aspects légaux et politiques, et devinrent des foires commerciales, conservant les marchés, les jeux et les aspects festifs.

En Irlande, les communautés se rassemblaient sur les collines, ou près des lacs et rivières, pour des jeux, des danses et la cueillette des myrtilles. Les animaux, et plus particulièrement les chevaux, étaient bénis d’une manière ou d’une autre, afin de les protéger pour la saison à venir.

Un des premiers noms pour cette fête se trouve dans La Courtise d’Emer (20) , il s’agit de Brón Trogain, qui est traduit par ‘la tristesse automnale de la terre’. D’autres noms, comme Lugnasad, Lúnasa, foire de Lewy, foire de Puck, Domnach Chrom Dubh (dimanche de Crom Dubh), dimanche des guirlandes, dimanche des myrtilles, dimanche des collines, ou Domhnach Deireannach (dernier dimanche)(5). Nombre de ces noms décrivent les coutumes ou les êtres mythologiques associés à la fête, et le fait que plusieurs noms signalent qu’elle tombait un dimanche est important. Danaher suggère que le placement des festivités un dimanche était dû à deux raisons : d’abord parce que, la période étant chargée, on ne pouvait pas se permettre de perdre des journées de travail. Ensuite, parce que le passage du calendrier julien au calendrier grégorien sépara les festivités de la date ‘véritable’, et que les coutumes survécurent au sens séculier, séparées de la signification du Quarter Day d’origine.

Cormac (21) définit la fête ainsi : “Lughnasad, le násad de Lugh, fils de Ethle, une assemblée tenue par lui au début des moissons, chaque année au début de Lughnasa. Násad est le nom de jeux, ou d’une assemblée.” Bien que l’étymologie, chez Cormac, soit souvent très imaginative, il semble y avoir du vrai dans ce qu’il écrit. L’association de la fête avec Lugh est fortement marquée dans les mythes et le folklore. De toutes les fêtes, Lúnasa est la seule qui porte le nom d’une divinité (dans la graphie ancienne), et l’explication de cette association se trouve dans le récit du cycle mythologique intitulé Cath Maige Tuired (la Seconde Bataille de Mag Tured) : après sa défaite, pour sauver sa vie, Bres offre à Lugh une abondance de cultures et de lait, quelle que soit la saison. Lugh refuse l’offre, rétorquant que tout ce qu’il demande, c’est de savoir quand labourer, quand semer et quand moissonner. Bres fait part de ses connaissances sur le sujet et, à partir de cet instant, les Tuatha Dé Danann sont capables d’être autonomes.

Pour ce rôle, Lugh fut donc associé à Lúnasa, puisque c’est à ce moment de l’année que les récoltes de blé et d’orge commençaient. Pourtant, dans le folklore et les traditions entourant la fête, Lugh n’est quasiment jamais mentionné. A sa place, c’est souvent Patrick qui a la vedette. A certains endroits, il affronte Crom Dubh, le ‘Sombre Tordu’ : “Le thème dominant de Lughnasa est la lutte entre deux dieux, l’un d’entre eux, Crom Dubh, étant un habitant des collines, propriétaire d’un taureau et d’un grenier, cultivateur, donneur de festins, maître des éléments. Son rival, Lugh (ou Patrick…) est un nouveau venu, un voyageur, malin, avec des capacités supérieures (…).” (19)

On dit de Lugh qu’il a instauré la foire de Tailltenn en l’honneur de sa mère adoptive, Tailtiu, qui était reine des Fir Bolg, la race qui a mis en place le concept de royauté en Irlande, d’après le Lebor Gabála Érenn. Le fait que les assemblées qui se tenaient à Lúnasa aient été le théâtre de tractations légales et politiques est cohérent par rapport à l’association avec Tailtiu. Lúnasa étant l’assemblée principale d’Irlande, les rois les plus puissants étaient ainsi associés avec les ancêtres de la royauté même. Il semble y avoir un lien ancestral dans le choix des lieux où se tenaient les assemblées : soit un lien direct avec une tombe ou un fort préhistorique pré-celtique, soit un lien avec les légendes locales, comme c’est le cas pour Tailtiu ou Carman, entre autres (1). Et on peut aussi faire le lien avec les traditions plus tardives où des guirlandes, faites par des jeunes filles, étaient accrochées dans les cimetières au début du bal qui marquait la fin des festivités : “Des rites en l’honneur des défunts semble avoir eu lieu à la fête de Lammas, aussi note-t-on à nouveau l’association des esprits ancestraux avec la fertilité de la ferme et de la famille.” (8)

Un des buts premiers de l’assemblée était que le roi réunisse son peuple afin qu’il lui réaffirme sa loyauté, puisque “le fait d’entrer dans la maison d’un roi constitue un acte symbolique de soumission”. Les festivités, par conséquent, reflétaient symboliquement l’hospitalité et la générosité du roi. La célébration d’une bonne récolte montrait que son règne était juste et bon, et justifiait que le peuple se soumette à son autorité. C’est aussi la raison pour laquelle la paix était une condition sacrée des assemblées.

Une des coutumes les plus observées est la cueillette des myrtilles sur les collines et dans les bois alentour. Le fait qu’il s’agisse de fruits sauvages est sans doute significatif : “Les gens, peut-on présumer, faisaient une offrande de blé sur la colline et en retour leur était offerte une autre sorte de fruits, les myrtilles bleu foncé qui poussaient à l’état sauvage sur le flanc de la colline. (19)

Un festin était souvent tenu par les cueilleurs. Les jeunes hommes faisaient étalage de leurs capacités dans des jeux et des compétitions sportives, comme le lancer de poids et le hurling, tandis que les jeunes filles faisaient des guirlandes de fleurs sauvages. Le soir, on buvait et on dansait pendant le repas. (5) Dans certaines régions d’Irlande, tous ceux qui montaient sur la colline portaient des fleurs qui, une fois la troupe arrivée au sommet, étaient enterrées dans une fosse creusée pour l’occasion, signifiant symboliquement la fin de l’été.

lunasa

Source : Annie Loughlin sur Tairis
Références bibliographiques :
1. Binchy, The Fair of Tailtiu and the Feast of Tara
2. Black, The Gaelic Otherworld
3. Byrne, Irish Kings and High-Kings
4. Carmichael, Carmina Gadelica
5. Danaher, The Year in Ireland
6. Danaher, Irish Customs and Beliefs
7. Danaher,The Celtic Consciousness
8. Evans, Irish Folk Ways
9. Evans-Wentz, The Fairy Faith in Celtic Countries
10. Frazer, The Golden Bough
11. Hutton, Stations of the Sun
12. Jaski, Early Irish Kingship and Succession
13. Keating, The General History of Ireland
14. Kelly, Early Irish Farming
15. MacBain’s Dictionary

16. Mac Cana, Celtic Mythology
17. MacCulloch, The Religion of the Ancient Celts
18. McNeill, The Silver Bough
19. MacNeill, The Festival of Lughnasa
20. Meyer, The Wooing of Emer
21. O’ Donovan, Cormac’s Glossary
22. Ó Duinn, The Rites of Brigid
23. Patterson, Cattle Lords and Clansmen
24. Rhŷs, Lectures on the Origin and Growth of Religion as Illustrated by Celtic Heathendom,
25. Sjoestedt, Celtic Gods and Heroes
26. Wilde, Irish Popular Superstitions
27. Wilde, Ancient Legends, Mystic Charms and Superstitions of Ireland
28. Lady Wilde Ancient Legends, Mystic Charms, and Superstitions of Ireland

2 commentaires pour Fêtes Saisonnières – Histoire et Folklore

  1. douzemoinsun dit :

    Salut, je me suis permis de reprendre tes informations pour un article personnel. Je t’ai citée au début. Voici le lien: https://presquedix.wordpress.com/2016/08/15/article-pense-bete-sur-quatre-fetes/

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